Le mouvement "Occupy Wall Street" est la version américaine des "Indignés" européens. (Erwan Gallen / JDN)
Depuis quelques jours, la colère des "Indignés" américains s'abat sur Wall Street. Alors que la campagne républicaine pour la nomination du parti bat son plein, les prétendants du camp de l'éléphant n'ont de cesse de critiquer les régulations de Barack Obama, consacrées à l'été 2010 par la loi Dodd-Frank. Le président, entré officiellement en campagne depuis de longs mois, ne va pas manquer une si belle occasion de se démarquer de ses adversaires, Mitt Romney en tête.
Invité ce dimanche de l'émission "This Week" diffusée sur ABC, le directeur de campagne d'Obama, David Axelrod, s'en est vivement pris aux deux favoris républicains pour la nomination, Rick Perry et Mitt Romney. Selon lui, "aucun Américain n'est impressionné d'entendre le gouverneur Romney et tous les candidats républicains dire que la première chose qu'il feraient, c'est de revenir sur les réformes de Wall Street, et donc de revenir là où l'on était avant la crise en laissant Wall Street dicter sa propre loi".
C'est sans surprise que la campagne d'Obama concentre sur ces attaques sur le mormon Mitt Romney. Son statut de modéré pourrait causer bien du tort au président sortant dans les Etats indécis qui décideront du sort de l'élection présidentielle. Toujours selon Axelrod, "le soutien à Romney n'augmente pas car [...] les gens ne savent pas ce en quoi il croit. Il est en campagne depuis vingt ans [...] et incesamment, il change ses positions. On a l'impression qu'il n'a aucun principe plus important que son appétit électoral".
La campagne de Romney sait qu'Obama redoute l'ancien gouverneur du Massachusetts plus que tout autre adversaire potentiel. Depuis des mois, l'ancien homme d'affaires critique le bilan d'Obama, mais jeudi, une vidéo montrait la posture de défi que Romney, actuellement en tête d'une écrasante majorité de sondages, a pris envers le président démocrate. Les insinuations de ce spot de 47 secondes, intitulé "Nerveux ?" viennent d'être confirmées par le camp Obama via l'interview de David Axelrod.
Faire passer Mitt Romney, un businessman multi-millionaire du Nord-Est, est chose aisée pour les démocrates. Plus largement, il est très facile pour Obama de se faire le défenseur des "Indignés", unis contre les défenseurs de Wall Street que sont les républicains. Ces derniers n'ont aucune autre intention que de démanteler les régulations financières de 2010 et l'ont encore répété mardi dernier, lors d'un débat dans le New Hampshire consacré aux questions économiques.
Les chiffres du troisième trimestre de levée de fonds, qui viennent d'être publiés par la Commission électorale fédérale (FEC) montrent un gouffre entre Barack Obama (70 millions de dollars) et Rick Perry, en tête du côté du parti de l'éléphant avec 17 millions de dollars. Plus intéressant, il apparaît que 1,5 des 14,2 millions de dollars récoltés par Mitt Romney proviennent directement de Wall Street.
En comparaison, Obama n'a récolté que 270.000 dollars auprès des grandes entreprises et reste fidèle à sa volonté de ne faire grossir son trésor de guerre qu'avec des petites contributions. Avec les "Indignés", le président démocrate tient une occasion en or de montrer que les républicains ont tort de vouloir faire machine arrière sur les régulations financières. De sucroît, les chiffres de la FEC appuyent la thèse selon laquelle Wall Street est la machine à sous du parti républicain.
En mal de résultats sur le front de l'emploi, Barack Obama a besoin des "Indignés" pour rassurer sa base électorale. C'est d'ailleurs le sens de son allocution d'aujourd'hui, consacrée à l'héritage de Martin Luther King. Mais en attendant, attaquer Mitt Romney est le moins qu'il puisse faire pour espérer conserver les faveurs de l'électorat centriste qui lui a donné la victoire en 2008.
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Dans un an exactement, le président sortant Barack Obama sera en pleine campagne de réélection contre un adversaire républicain dont le nom est pour l'heure toujours inconnu. En revanche, une chose est certaine : sa présidence est en panne. Par manque de capital politique, le camp démocrate ne lui répond plus. Sans une ou deux législations majeures avant novembre 2012, la défense du bilan de son premier mandat risque d'être très compliquée.
Il y a un mois, Barack Obama a établi son plan de relance de l'emploi dans le but de lancer sa campagne de réélection. Les électeurs lui accorderont sans doute le mérite d'avoir essayé, mais en tant que président sortant, un projet de loi qui reste sur le coin du bureau du Congrès ne sera pas suffisant. L'an prochain, le président américain devra défendre un bilan composé de mesures concrètes, et non de simples intentions.
Or, sans l'appui de sa majorité démocrate au Sénat, hésitante à travailler sur le projet de loi, Obama n'a aucune chance de tirer les fruits de son action. Son idée consiste à faire pression sur la Chambre des représentants, détenue par les républicains, pour montrer une fois de plus que le parti de l'éléphant n'a qu'un seul objectif : placer l'un des siens à la Maison-Blanche en novembre 2012.
Pourquoi donc Harry Reid, le leader démocrate du Sénat, est-il si peu pressé d'aider le président ? La réponse, très simple, est livrée par un important stratégiste démocrate au Washington Post : "Nous sommes maintenant à un an des élections, et les sénateurs se consacrent à leur propre réélection".
Les tactiques personnelles qui s'appliquent au parti républicain s'appliquent tout aussi bien aux sénateurs démocrates. En effet, les élections américaines sont générales et les membres de l'organe délibératif le plus puissant du monde ont eux aussi des places à défendre. Il n'ont aucune intention de laisser la cote de popularité décroissante du président plomber leurs chances de réélection.
L'an prochain, les démocrates devront défendre la bagatelle de 23 sièges, dont une demi-douzaine se trouvent dans des "swing-states" où l'écart entre républicains et démocrates promet d'être serré. C'est par exemple le cas de Ben Nelson dans le Nebraska, Bill Nelson en Floride, ou encore Claire McCaskill dans le Missouri. A l'heure où ces sénateurs savent qu'ils vont devoir modérer leurs positions jusqu'à l'extrême-droite du parti démocrate, il s'agit pour eux de tenter de s'émanciper de l'image d'un président de plus en plus impopulaire.
L'enjeu est de taille car la course pour le contrôle du Sénat s'annonce très incertaine. Le parti républicain possède une véritable occasion de contrôler toutes les branches du gouvernement en novembre 2012 parce que la panne de la présidence Obama rend vulnérable l'intégralité du camp démocrate.
Face à des cadors de son propres parti résolus à "jouer personnel", il ne reste au président qu'à mettre en place une stratégie similaire. A vrai dire, le scénario est déjà connu. En 1995, à l'orée du lancement de sa campagne de réélection, le président démocrate Bill Clinton s'était heurté au même problème. En travaillant sans relâche à bâtir une "troisième voie", il s'est frayé un chemin au Congrès avant d'être reconduit par les Américains un an plus tard.
Pour Obama, il reste à savoir si les choses se passeront de la même façon. De l'avis de nombreux experts, cela n'en prend décidément pas le chemin.
Soufian Alsabbagh est l'auteur de "La Nouvelle Droite Américaine" (Ed. Demopolis), essai analysant la radicalisation du Parti républicain. Contributeur du Huffington Post, ses articles sont consacrés à la politique intérieure des Etats-Unis (élections, présidence, Congrès, Cour suprême). Follow sur Twitter @4lsabbagh_S
RFI - Anne Cantener
25 octobre 2018 | 18h10
BFM TV - François Gapihan