Au matin du 27 septembre 1960, le sénateur démocrate du Massachussetts, John Fitzgerald Kennedy, était annoncé « gagnant » du premier débat politique télévisé de l’histoire. Il avait fait montre, la veille, de son habileté oratoire lors de la confrontation – entrée dans la légende désormais – l’ayant opposé au républicain Richard Nixon dans la course à la 35ème présidence des Etats-Unis. Outre-Atlantique ou ailleurs, cette soirée a inauguré une nouvelle ère dans la façon de faire de la politique, en cette deuxième moitié du XXème siècle marquée par l’avènement des médias.
Des détails pour l’histoire… Et pour la télévision. En effet, comment expliquer que simplement du fait de la couleur de sa cravate1, Jack Kennedy ait fait meilleure impression que Nixon ? Ajoutez à cela une barbe matinalement rasée et un air nerveux, et voilà le démocrate déclaré vainqueur du débat. Pourtant, parce que ces éléments sont imperceptibles à la radio, les auditeurs furent, bien plus que les spectateurs, davantage séduits par les arguments du candidat républicain. Désormais, la façon de se tenir en face d’une caméra de télévision allait compter, et pour longtemps.
En 1960, plus de 65 millions de téléspectateurs (sur 170 millions d’Américains) avaient regardé le débat, et nul doute que la performance télévisuelle des candidats a joué sur le choix des électeurs… Pourtant, ce n’est qu’avec 60.000 bulletins frauduleux chicagoans que Kennedy a pu parvenir à la Maison-Blanche ! Et bien que l’audimat soit très variable depuis ce premier débat présidentiel2, peut-être du fait de la présence de confrontations à thèmes, cela est compensé par la presse - écrite, radiophonique ou télévisuelle – qui relaye, commente et discute à foison les « petites phrases », souvent faiseuses de roi. Gerald Ford ou Dan Quayle pourraient en témoigner…
Avec la montée en puissance des médias, le cap des débats télévisés est, pour les candidats, à franchir avec un seul mot d’ordre : pas de bourde. Il s’agit aujourd’hui de « bien passer » à la télévision, plutôt que de tenter de se distinguer du point de vue des idées et des propositions. De fait, tout est souvent réglé avant le débat, puisque les candidats connaissent le programme de leur adversaire et savent les points à privilégier pour se mettre en position de briller. La confrontation se résume souvent à un simple spectacle télévisuel, à la limite du divertissement, à l’issue duquel le public émet un choix. Ce qui, quelques années avant Loft Story et toutes proportions gardées, placerait la politique américaine en une sorte de précurseur de la téléréalité…
On pourrait avancer l’idée qu’au lieu de se concentrer sur les phrases assassines, souvent préparées à l’avance pour humilier son adversaire3, les candidats devraient garder en réserve une, voire deux propositions très simples et très concrètes qui, au-delà de l’effet de surprise, pourraient redonner une dimension politique concrète à la confrontation. D’aucuns rétorqueront que c’est là « le charme de la politique » ; d’autres leur répondront que la politique est affaire d’idées avant d’être affaire de charme.
On peut regretter que la presse compte souvent plus sur les émotions que sur les idées pour se vendre. Au-delà de ça, on peut regretter que le choix des électeurs se fasse sur des phrases assassines qui occultent assurément le débat de fond. Toujours-est-il, ce sont des images pour la légende, des moments qui sont en bonne place dans la mémoire collective, cela en vertu de l’universalité permise par la télévision.
La première confrontation entre Kennedy et Nixon aura simplement inauguré une nouvelle façon de faire de la politique. Du fait du changement d’échelle sans aucun doute, le contenu intellectuel des débats télévisés n’est, depuis lors, pas privilégié. Du fait du changement d’époque, l’évolution vers la publicité semble logique. Nul doute que le président démocrate en a été, à sa manière et sans qu’il puisse en être réduit à cela, un excellent émissaire.