Ron Paul s'exprime devant ses supporters à Marshalltown, Iowa, le 10 décembre 2011
Comme souvent lorsque l'incertitude est de mise, les scénarios les plus improbables deviennent réalistes - et réalisables. Alors que les républicains peinent, depuis des mois, à s'accorder sur le nom de leur champion pour l'élection présidentielle de 2012, Ron Paul pointe son nez en tête des sondages réalisés en Iowa, qui lancera le processus de nomination présidentielle du parti de l'éléphant le 3 janvier prochain. En dépit de ses opinions très controversées - pour ne pas dire extrêmes - Ron Paul est-il en mesure de créer une immense surprise dans maintenant treize jours ?
2012 sans doute la campagne des primaires la plus incertaine de l'histoire moderne opposant plus de deux candidats ayant de réelles chances de l'emporter. De l'avis de tous les commentateurs politiques, il est impossible de dire aujourd'hui qui remportera le plus de voix lors des caucus de l'Iowa, qui auront lieu le mardi 3 janvier 2012. Pour les électeurs du "Hawkeye State", Gingrich et Romney, les deux favoris actuels, ont tous deux de sérieuses tares en matière de religion (un triple marié et un mormon) ainsi que de pedigree : leurs actions parfois modérées par le passé sont à l'origine du scepticisme latent d'un électorat résolument conservateur.
De l'autre côté du miroir, tous les candidats plus proches de la sensibilité du Tea Party ne parviennent pas à décoller, bloqués sous la barre des 10%. Rick Santorum, Rick Perry et Michele Bachmann, qui travaillent sur la droite de Gingrich et Romney, peinent à attirer les foules car ils divisent l'électorat évangéliste de façon quasiment égale selon les sondages. Il y a quatre ans, l'ancien pasteur Mike Huckabee avait récolté 35% de voix en Iowa grâce à la coalition que la droite chrétienne avait formée autour de lui.
Sachant que Jon Huntsman a délibérément fait impasse sur le premier Etat à voter pour jeter toutes ses forces sur le second, le New Hampshire, il ne reste plus qu'un homme vers qui les Iowans puissent se tourner. Il s'agit de Ron Paul, représentant de la 14e circonscription du Texas au Congrès. A la différence de Gingrich, il possède une des organisations les plus solides en Iowa - si ce n'est la plus solide. Et à la différence de tous les autres candidats, le vétéran de cette campagne (76 ans) est inattaquable sur son bona fides conservateur ; droit dans ses bottes, il se vante de ses prises de position qui, bien que conservatrices dans leur ensemble, s'écartent parfois de la norme en vigueur au Parti républicain.
De sa méticuleuse organisation jusqu'à l'incertitude de l'électorat, en passant par la composition du panel de candidats républicains, de nombreuses raisons peuvent expliquer la montée de Ron Paul dans les sondages. Celle-ci est bien réelle, après toute un année passée aux avant-postes, en embuscade derrière les leaders qui se sont succédé en tête de l'Iowa. Selon l'institut Public Policy Polling, Ron Paul, avec 23% des intentions de vote, domine Romney et Gingrich, respectivement deuxième et troisième avec 20% et 14% des voix. Bachmann, Perry et Santorum possèdent tous trois un dizième de l'électorat iowan, dans une parfaite égalité.
Déjà candidat à l'investiture républicaine en 2008, comme Mitt Romney, Ron Paul bâtit depuis cinq ans maintenant une organisation capable non seulement de s'attirer des supporters, mais aussi de les faire se déplacer dans les bureaux de vote. A la question "Lequel des candidats a l'organisation la plus solide en Iowa ?", Ron Paul arrive en tête (22%), selon les Iowans eux-mêmes. En termes de ressources, Paul possédait 4,5 millions de dollars début octobre, ce qui le place en troisième position derrière Romney (32,5 millions) et Perry (15 millions). Sa "Super-PAC", Revolution PAC, dispose elle aussi d'un trésor de guerre important ; une grande partie de son argent sert à acheter de la publicité en Iowa et ainsi attaquer ses adversaires sur leur bilan (cf. infra).
Contrairement aux "faucons", qu'ils soient modérés ou conservateurs, qui composent l'écrasante majorité des élus américains à l'échelle nationale, Ron Paul défend une politique étrangère basée sur l'isolationnisme. Ses adversaires lui reprochent ainsi de se positionner à la gauche du président Obama, en militant notamment pour la fin de toute aide financière à l'étranger ou le retrait immédiat de toutes les forces américaines en Afghanistan. Par ailleurs, Paul refuse de croire que l'Iran est en possession de l'arme nucléaire : ce n'est pour lui qu'une menace brandie par Washington pour légitimer une nouvelle guerre, ce qu'il considère comme une maladroite répétition du scénario qui a amené la guerre en Irak en 2003.
Pour ce qui est des affaires domestiques, Ron Paul défend une plateforme ultra-libérale, qui correspond à la frange extrême du Parti républicain : suppression de banque centrale américaine et abolition de l'impôt sur le revenu sont ses fers de lance depuis de nombreuses années. S'il est élu président des Etats-Unis, Ron Paul promet qu'il fera des coupes budgéaires à hauteur de mille milliards de dollars dès sa première année de mandat. En outre, il est en accord avec la droite chrétienne sur de nombreux sujets dits "sociaux", de l'avortement au port d'armes, sans oublier la couverture-santé universelle.
Ces idées pour le moins radicales ont valu à Ron Paul, en 2008 et en 2012, de ne pas être pris au sérieux par ses adversaires. Mais alors que l'authencité est le problème principal des leaders républicains, les électeurs de l'Iowa semblent amorcer un ralliement vers celui dont les idées sont les plus fortes, dont la conviction est la moins susceptible de sombrer sous les assauts des accords bipartisans de Washington. A cet égard, il n'est pas surprenant de constater que 70% des personnes interrogées en Iowa pensent que Paul a des principes sincères, quand seulement 50% et 36% en disent de même de Romney et Gingrich respectivement.
Si Ron Paul, de par ses prises de positions parfois extrêmes, dispose d'un électorat plus réduit que celui des candidats plus centristes comme Romney ou Gingrich, il peut compter sur une base de supporters qui feront tout pour le pousser vers la victoire. Cela commence par se déplacer dans le froid, et peut-être sous la neige, le 3 janvier prochain. C'est la raison numéro un pour expliquer la dégringolade de Gingrich dans les sondages : son avance, bien que très large, ne reposait sur strictement rien d'autre qu'une bulle de popularité médiatique. L'ancien Speaker ne dispose pas d'une organisation suffisamment solide pour pouvoir prétendre à la victoire, que ce soit dans le "Hawkeye State" ou dans les 49 autres Etats américains.
Les méthodes pour gagner des caucus comme celui de l'Iowa sont bien connues. Deux solutions existent pour l'emporter dans ce schéma radicalement différent des primaires traditionnelles : l'élan populaire ou l'argent. Le premier permet, avec une arrivée en tête des sondages dans le bon tempo, de remporter une victoire à l'arraché, tandis que le second garantit un filet de sauvetage en termes de voix, grace à un travail de longue haleine sur le terrain. Ron Paul est en possession de l'organisation, c'est une certitude. Ses adversaires, réunis avec leur famille au coin de la cheminée pour les fêtes, devront se montrer très vigilants à ce que Paul ne profite pas d'une étincelle médiatique qui, si elle arrivait un bon moment, rendrait sa victoire dans le "Hawkeye State" indiscutable.